#POGD 22 Lâcher-prise

Une poésie par semaine dans ta boite mail

On ne va pas se mentir. En écrivant l’objet de cette newsletter, je suis dans l’état contraire exact du lâcher-prise. Je maîtrise. Pourtant, pourtant, deux jours auparavant me voilà au Mac Donald. Assis sur une chaise de bar, j’ouvre l’Anthologie de la poésie baroque que je viens de m’offrir chez le libraire sur planche de la place de Clichy (trois longues planches, des tréteaux et des ouvrages empilés à la pelle). Je tombe sur ce poème. Je le renfile. Méfiant. L’odeur du papier se mêle à celle du Happy meal.

Deux vers, je suis noyé. Emporté par le flot des mots. Je mâche mon hamburger en psalmodiant les rimes. Je résiste, j’ai tellement de préoccupations, de choses à faire, de gens à relancer. Le monde me ballote comme Moïse enfant sur les flots. Et le poème me porte. Le poème me guide et ses propres forces dissout mes résistances. Il me met dans tous mes états et pourtant ne m’abandonne pas.

Je comprends mieux pourquoi deux jours plus tard. Lorsque je découvre son autrice : Madame Guyon (1648, 1717). Visiblement, une des plus grandes mystiques du 17e siècle. Personnage hors norme qui termine son autobiographie par cette phrase céleste : « Tout m’est indifférent ; je ne puis plus rien vouloir ; il m’est impossible de savoir si j’existe, ni si je n’existe pas. »

ABANDON ENTIER

(Air : je ne veux de Tirsis)

Je suis un pauvre enfant exposé sur les eaux,

Battu de vague et de tempête;

Je vogue à la merci des flots,

Qui passent souvent sur ma tếte.

Dans mon petit berceau je n'ai point de secours;

A chaque instant il se renverse;

Mais le flot reprenant son cours,

Presqu'en un moment le redresse.

Je ne fais rien, hélas ! que de m'abandonner;

Mes cris démontrent ma misère;

Je vois que nul ne vient donner

La main pour me porter à terre.

Dans cet état fâcheux je lève au ciel les yeux,

Pour y chercher quelque assistance;

Le flot devient si furieux,

Qu'il m'ôte enfin toute espérance.

Je me sens abimer dans le vaste Océan

Avec une frayeur étrange;

Nul n'a pitié d'un pauvre enfant,

Ni mon Dieu, ni l'Homme, ni l'Ange.

Je me console alors dedans mon désespoir;

Venez me noyer tout à l'heure,

Amères eaux ! car mon espoir

Se perd :il est temps que je meure.

Je me trouve arrêté par de frêles roseaux;

Je vois une main secourable,

Qui vient me retirer des eaux,

Pour me rendre plus misérable.

Je vois de tous côtés les hommes s'empresser

Appellant sur moi tout le monde;

Pourquoi me vouloir retirer?

J'étois mieux au milieu de l'onde.

Madame Guyon, in Anthologie la poésie Baroque, Armand Colin

Anecdotes & Broutilles

L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.

  • Le philosophe Arthur Schopenhauer admire à un tel point Madame Guyon, qu’il la cite comme exemple à suivre dans son livre Le monde comme volonté et représentation. (le monde selon Schoupi)

  • Jeune et riche veuve on lui propose de prendre la direction des Nouvelles Catholiques, une communauté religieuse qui accueille de jeunes protestantes converties. Elle refuse lorsqu’elle apprend les méthodes d’enlèvement et d’abjuration de la foi dont seraient victimes les pensionnaires. (foi, consentement et trahison)

  • Lâche prise ce week-end en partageant cette newsletter à un fervent athée. Avec Schoupi ça fera deux personnes qui aimeront Madame Guyon.

  • Quelque chose t’a manqué cette semaine dans cette newsletter ? Tu peux prendre un moment pour en discuter avec moi ou me faire un message en répondant à cette newsletter.

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