#POGD 44 La promesse de l'aube

Une poésie par semaine dans ta boite mail

thibaux

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Est-ce que titre d’un roman de Romain Gary peut-être putaclic ? Si tu as cliqué dans ta boite mail pour cette raison, alors oui. À cet instant, je savoure autant le côté putaclic que l’image qu’il invoque avec lui : celle d’écrivains alignés le long de la palissade attendant le lecteur tel des pierreuses fin de siècle. Écrivains ou autrices d’ailleurs (je double le genre, mais si le genre t’ennuie : saute une ligne et lis du Modiano). Je m’égard. Donc, le métier d’écrivain ou d’autrice est d’abord une affaire économique.

Pour la suite, n’attendez pas une grande tirade de droite sur le mérite des écrivains ou autrices (félicite-t-on son plombier ?) ou même de gauche sur l’art suprême et libérateur (« Transcendé par un vers de Mallarmé, il rembourse son banquier, » France dimanche). Je fais le pitre, je le concède, mais sur le fond un peu de science économique ou d’économie ménagère tout court ne feraient pas de mal aux autrices et auteurs.

Pourquoi ? Pour l’argent qui, comme chacun sait, est l’ego du pauvre. Envisagez les choses sous cet aspect, c’est gagner sa vie — dans tous les sens du terme. Devenir son propre rhizome, sourire à ses propres grimaces. Avec autant d’amour que d’autodérision.


Le clown  

Un jour, bientôt peut-être.

     Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.

     Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.

     Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.

     D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement « de fil en aiguille ».

     Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.

     A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.

     Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.

     Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.

     Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.

     Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.

     clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.

     Je plongerai.

Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert

     à tous

ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée

à force d’être nul

et ras…

et risible…

Henri Michaux, « Peintures » (1939,) in L’espace du dedans, Pages choisies, Poésie / Gallimard

L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.

  • Henri Michaux (1889, 1984) resta un grand curieux toute sa vie. Passionné de sciences naturelles, il connut jusqu’à ses derniers jours toutes les arrivées au Jardin zoologique de Paris. Ce Belge détestait par ailleurs, avec une rare violence, tout ce qui le rattachait aux Belges et à Belgique. (ami des bêtes et pas des Belges)

  • L’homme souffrit beaucoup. Des contusions de la vie. De la vie aussi quand elle laisse entrer la mort. Pour autant formidable poète, il sut convoquer un orchestre symphonique complet pour sédacer un panaris. (souffle rire en silence)

  • Avant de quitter cette lettre, laissez-moi un message pour l'hiver sur mon répondeur où en répondant à cet email. Dites-moi ce que vous aimeriez lire dans les prochaines semaines ou mois.

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