[Suite à la suite d’un bagage abandonné, la maison Louis Vuitton s’est fait la malle. Votre lettre favorite dépendant de l’industrie du luxe a donc — une nouvelle fois encore — pris du retard dans sa parution]
Bon. Si le titre vous a intrigué, c’est normal. Vous n’avez pas la référence. Dette est le surnom de ma grande tante qui répondait dans le civil au patronyme d’Antoinette. Antoinette qui — elle-même — est le prénom de la poétesse du jour. J’en ai déjà parlé, je crois, mais je n’ai pas le temps de me replonger dans les archives, « en retard, toujours en retard » me chuchote le lapin d’Alice dans les oreilles.
Donc deux Antoinette, pourquoi ? Sans doute, parce que je retrouve en lisant la première, la fantaisie que je connaissais chez la seconde. Cette appréciation immédiate de la vie comme quelque chose d’absurde qui ne peut prendre son sens que dans la joie. L’une et l’autre sont, je crois, le type de personne qui, après la mort, voit leur épagneul venir pleurer sur leur tombe. Par loyauté peut-être, mais plus sûrement par sagesse. Les bêtes connaissent le genre humain et savent par expérience qu’il n’est pas toujours simple de retrouver d’aussi bonne personne que leur maîtresse.
La bête d’Antoinnette a donc aimé sa maîtresse. Peut-être pas jusqu’à en mourir, mais au moins jusqu’à prendre la plume. Et c’est suffisamment remarquable pour le notifier.
Pour vous marquer mon courroux,
J'ai mis la plume à la patte ;
Il est temps que contre vous
Toute ma colère éclate.
Vous m'avez rendu jaloux ;
Entre nous autres Toutous,
Nous sommes là-dessus d'humeur fort délicate :
Pour se bien mettre avec nous,
En vain le Blondin nous flatte,
Nous n'en sommes pas plus doux,
Nous mordons jusqu'à l'Époux.
Malgré ce naturel incommode et farouche,
Je vous écoutais sans dépit
Louer de ma Maîtresse et les yeux et la bouche ;
Ne croyant ces douceurs qu'un simple jeu d'esprit,
Sans m'opposer à rien, je dormais sur son Lit.
Si ce souvenir vous touche
Ne songez plus à m'ôter
La place que je possède
Croyez-vous la mériter ?
Croyez-vous que je la cède ?
Sept fois l'aimable Printemps
À fait reverdir les Champs,
Sept fois la triste froidure
En a chassé la verdure,
Depuis le bienheureux jour
Que je suis chien d'Amarille.
A ses pieds j'ai vu la Cour,
A ses pieds j'ai vu la Ville
Vainement brûler d'amour
Seul j'ai su par mon adresse
Dans son insensible cœur
Faire naître la tendresse.
Ne troublez plus mon bonheur :
Quand pour venger son honneur,
Le petit Dieu surbonneur
Qu'en tous lieux elle surmonte,
Déciderait à ma honte
Sur les droits que je prétends,
Sachez, notre illustre Comte,
Que j'ai de fort bonnes dents.
GAS.
Antoinette Deshoulières, De rose alors ne reste que l'épide, Poésies 1659-1659, Poésie/ Gallimard
L’anecdote te permet d’aller plus loin, mais pas plus que les pieds du poète qui chausse du 41.
Antoinette Deshoulières (1638, 1694), née Antoinette du Ligier de la Garde, rejoint en 1655 son mari à Rocroi où il s’est réfugié avec les frondeurs qui s’oppose à Louis XIV. Sa famille (pas sa belle famille, merci de suivre SVP) l’a mandé pour influencer Condé le chef des frondeurs et faciliter la prise de Rocroi par le Roi. Démasquée par Condé elle attrape la même même année la petite vérole et se retrouve avec son mari emprisonné à la tour de Vilvorde. Antoinette a plus d’un tour dans son sac et s’en échappe l’année suivante avec son époux. (lire aussi : Fantômette contre le Roi)
Quelques années plus tard, elle se retrouve dans le camp du Duc de Nevers, cercle libertin et anticonformiste, dans l’affaire dite des sonnets. Deux camps s’affrontent alors à coup de punchlines assassines pour départager le Phèdre de Racine de celui de Pradon. Sous-entendus de pratiques incestueuse, grossophobie, menace de mort voilée, les choses vont si loin que le grand Condé finit par placer Boileau et Racine sous sa protection pour calmer le jeu. (Même Booba n’est pas prêt)
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